Urgence Ukraine – L’aide des Captifs

Depuis le mois de février, les Ukrainiens quittent en urgence leur pays pour échapper à la guerre. Nos équipes commencent à en croiser en rue et se mobilisent pour éviter les risques de Traite des Êtres Humains (TEH). Point d’étape avec Thibault Leblond, directeur du pôle Développement des Captifs.

 

Quelle est la situation aujourd’hui pour les Ukrainiens qui fuient leur pays ?

Globalement il y a deux situations :

  • Ce qui se passe dans les pays frontaliers, en l’occurrence en Pologne : des particuliers et des associations viennent proposer de l’aide et du transport. D’après nos contacts associatifs (L’œuvre d’Orient, Caritas ou des religieuses ukrainiennes) sur place, les personnes montrent des panneaux en indiquant « j’ai tant de places dans ma voiture ». Dans le lot, il y a malheureusement des proxénètes et autres malfrats. Le problème c’est que les gens montent en voiture mais ne savent pas où ils vont arriver !
  • La situation sur les pays de l’ouest, qui est un peu similaire. Il y a eu de nombreux signalements et la police a procédé à des arrestations de proxénètes qui essayaient de récupérer des jeunes femmes, en France comme ailleurs. Près des points d’arrivée et des lieux d’accueil.

Beaucoup vont vers le Sud de la France ou sur l’Espagne et le Portugal car il y a une grosse diaspora ukrainienne dans la péninsule ibérique. Mais maintenant, le Royaume-Uni fait rentrer les ukrainiens au compte-goutte. Une bonne partie d’entre eux restent donc en France. S’ils se présentent dans nos antennes, nous leur donnons l’adresse du point d’accueil à la Porte de Versailles par exemple.

Aujourd’hui, il y a une véritable alerte de l’Union Européenne et de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) sur la question des enfants (la moitié des réfugiés, au 30 mars, sont des enfants). L’autre moitié, ce sont majoritairement des femmes ou bien des hommes âgés comme les 18/60 ans doivent rester pour se battre. En parallèle, le Collectif Ensemble contre la traite des Êtres Humains, dont les Captifs sont membres, se mobilise pour informer les réfugiés des risques encourus et des gestes préventifs à mettre en place (prendre en photo les plaques d’immatriculation, ne pas se séparer de son passeport…). 

Quels sont les risques pour ces personnes et comment peut-on les limiter ?

Les personnes peuvent être victimes de personnes malintentionnées qui vont demander des contreparties déplacées en échange d’un transport ou d’un hébergement : services domestiques ou faveurs sexuelles. Il y a un signalement très clair sur les questions de traite des êtres humains.

Les Captifs ont pris les devants pour voir comment anticiper ce phénomène en France et comment sécuriser les couloirs d’arrivée dans les gares ou les autres spots. Plusieurs dialogues sont ouverts, notamment avec l’ambassade ukrainienne. Nous échangeons aussi avec JRS (Jesuit Refugee Service) qui alerte toutes les associations d’hébergement, à l’instar du Collectif contre la Traite. Le gouvernement a aussi envoyé un communiqué à tous les préfets (circulaire du 23 mars 2022 des ministères du Logement et de l’Intérieur), traitant de l’hébergement des réfugiés ukrainiens et incluant un paragraphe sur le sujet de la TEH.

« L’idée est de créer une espèce de tapage pour que les gens soient conscients qu’il y a un risque. »

Thibault Leblond

Quand on est dans une situation d’urgence, les gens ne se projettent pas sur le « après ». C’est l’émotion qui réagit. Pourtant, ce n’est pas après, une fois que les filles seront dans les réseaux que nous pourrons faire quelque chose.

Nous participons aux réflexions sur la sécurisation des espaces d’accueil et à la façon dont on accueille ces Ukrainiens, avec une vigilance accrue à l’hébergement par des particuliers  (« l’hébergement citoyen »). Comment est-ce qu’on contrôle les hébergeurs et comment est-ce qu’on les accompagne.

Cet élan collectif est vrai et bénéfique mais il risque de retomber comme chaque élan émotionnel. Les hébergements en famille ne peuvent pas durer 6 mois non plus.

A part de la sensibilisation, que font les Captifs ?

Nous ne sommes pas en première ligne mais nous allons récupérer la misère de la seconde vague. Ceux qui n’ont pas de familles en Europe ou ailleurs, ou bien qui n’ont pas eu les moyens de quitter l’Ukraine avant, vont arriver dans un second temps. Avec les traumatismes causés, il y a un risque de précarisation. Le public en grande précarité que nous rencontrons a aussi vécu un drame à un moment donné qui fait que tu coules. Il y a des chances que ces populations qui auront vécu cela, glisse dans cette même précarité .

Pour éviter cela, chacun doit avoir une attention fraternelle à ces gens qui arrivent chez nous pour permettre le plus de paix possible.

Les mots clés sont donc Information – Vigilance et Accompagnement.

 

 

  • Lire le flyer d’information aux personnes exilées

Ils s’engagent avec nous : Mathilde, responsable bénévole de l’antenne de Lyon .

Ancienne parisienne, Mathilde a découvert les Captifs… en arrivant à Lyon ! Il y a 5 ans, avec d’autres jeunes de la paroisse de Saint-Nizier, ils ont cherché une association pour les accompagner dans leur démarche vers les personnes de la rue. Deux d’entre eux sont allés frapper à la porte des Captifs à Paris.

Pourquoi les Captifs ? « A cause des mains-nues » s’exclame Mathilde quand on l’interroge. C’est cette spécificité qui l’a attirée :

« Dès le départ, on était dans cette démarche-là. Je crois qu’au début nous y sommes allés avec des Thermos, mais très vite l’idée c’était simplement d’aller les rencontrer. Connaissant ce fonctionnement pour les Captifs, on est allé vers cette association précisément. ».

A Lyon, il y a très peu, voire aucune, associations avec ce fonctionnement « à mains nues ». Plus que n’importe quelle antenne, les antennes en région vivent littéralement ce système de gratuité. Composée de bénévoles uniquement, l’équipe de Lyon ne propose aucun accompagnement social.

Le but premier ? Rencontrer l’autre dans son intégralité, non pas le sortir de la rue, mais venir à lui et être présent avec lui.

Une fois qu’ils se sont apprivoisés et sont devenus amis, les bénévoles et personnes de la rue vivent la relation dans une grande liberté, sans attente de présence aux différents événements de l’antenne (prière-rue mensuelle, etc.).

Depuis le mois de novembre, les Lyonnais ont aussi mis en place un accueil fraternel pour recevoir une fois par semaine, les personnes rencontrées. Mais qu’ils viennent ou pas, il n’y a pas d’enjeu dans l’amitié.  « Et pour ceux qui sont en grande souffrance, lors des tournées-rue, il arrive que nous les orientions vers des partenariats (comme le Samu social par exemple). Cela nous a aidé à ne pas nous sentir seuls. ».

En tant que responsable d’antenne, bénévole, Mathilde est attentive à ce que chacun trouve sa place, bénévole comme accueilli, dans un cadre sécurisant. Son rôle est de garantir l’unité et la gratuité. Le plus important étant de garder au cœur la mission principale : aller à la rencontrer et aimer nos frères de la rue. Malgré la distance qui la sépare du siège, Mathilde ne se sent pas isolée.

« On n’est jamais seul ! remarque-t-elle. Et rares sont les décisions qu’elle prend sans consulter les équipes : le coordinateur pour la précarité, le coordinateur pour le pôle prostitution, le coordinateur de la prière-rue et celui de l’accueil fraternel et le siège à Paris l’accompagnent à chaque pas. ».

Mathilde

Voilà comment tourne une belle structure de 24 bénévoles Captifs, qui chaque semaine, sillonnent Lyon pour porter le Christ dans la rue.

« Macron ou les autres, ils ne prennent pas forcément les bonnes décisions »

Dans un podcast diffusé depuis le 29 mars, deux personnes sorties de la rue et accompagnées par les Captifs, interpellent les candidats à l’élection présidentielle. Une campagne baptisée « Les Oubliés de la République », organisée par The Good Lobby France, un réseau d’expertise pro bono au service des sans voix, et diffusée sur la plateforme radio d’Arte.  

Fabrice, pendant le live sur Twitch avec François Hollande.

Entrepreneur pendant 42 ans, Fabrice est arrivé à la rue après de multiples galères administratives – dont il n’était pas responsable – qui l’ont contraint à fermer son restaurant et à licencier son personnel. L’équipe d’Aux captifs, la libération l’a rencontré alors qu’il vivait dans sa voiture, au Bois de Vincennes.

De son côté, Azzedine, autiste Asperger, s’est également retrouvé 4 ans à la rue, après de multiples galères. Tous les deux sont hébergés au sein de notre colocation solidaire Valgiros, située dans le 15e arrondissement de Paris.

  Leur histoire, ils ont pu la raconter au micro de l’équipe de The Good Lobby France, initiateur de la campagne « Les Oubliés de la République ». Ils ont pu également exprimer leurs attentes par rapport aux politiques publiques, et partager des propositions.

Le podcast a été mis en ligne le 29 mars, aux côtés de 5 autres, qui donnent la voix à des publics que l’on n’entend jamais : des personnes sans domicile, des jeunes placés par l’Aide Sociale à l’Enfance, ou encore des personnes en situation de prostitution.  

« En situation d’isolement, ignorés, parfois dans l’angle mort des politiques publiques, ces femmes et ces hommes perdent leur capacité à être acteurs de la société, privés de leur statut de citoyen, explique Gaëtan de Royer, directeur de The Good Lobby. Alors que la démocratie participative apparait comme un élément-clé de la construction d’une politique publique efficace, placer les Oubliés au cœur du débat public, les écouter, constitue un puissant message de fraternité, un premier pas vers leur reconstruction ».

Pour lancer la campagne, l’ancien Président François Hollande est venu, en direct, sur Twitch, écouter et discuter avec quelques témoins des podcasts. Il a écouté et partagé son retour d’expérience sur les décisions politiques qui peuvent être prises en déconnection avec certaines situations individuelles. Chacun a pu prendre conscience à quel point le lien humain est au cœur de la solution, et qu’il est souvent oublié. Pour Fabrice, la déshumanisation de l’administration française a clairement contribué à sa chute.

« Quand vous avez une question à poser sur votre dossier, dans le Jura, et que votre interlocutrice est une téléopératrice basée en Espagne… Comment voulez-vous qu’elle me comprenne ? 

Fabrice

La campagne des « Oubliés de la République » a été lancée en partenariat avec d’autres associations qu’Aux captifs, la libération : Repairs !75 (association d’entraide d’enfants placés), Solenciel (réinsertion des personnes victimes de prostitution), et Entourage (création de liens de voisinage pour les personnes sans-abri). Elle se poursuivra par une consultation des candidats sur leurs ambitions pour lutter contre l’exclusion « civique » et, durant le prochain quinquennat, en sensibilisant les parlementaires à l’intérêt d’engager des rencontres directes avec les Oubliés.

  • Ecouter le podcast de Fabrice et Azzedine .
  • Revoir le lancement des Oubliés de la République, avec Fabrice et François Hollande.

Prier pour et avec les personnes de la rue

Les Captifs se sont pressés dans l’église Saint-Leu-Saint-Gilles jeudi 31 mars dernier. Toutes les antennes parisiennes : accueillis, bénévoles et salariés se sont retrouvés dans notre antenne de Paris Centre pour prier ensemble.

Tous les ans, la Veillée-rue rassemble la famille Captifs pour un temps de prière. Quel moment de joie de pouvoir se retrouver à nouveau. Et cette fois-ci, l’événement a pris une tournure différente.

En l’honneur de la sanctification de Charles de Foucauld, le temps de prière était précédé du spectacle de Francesco Agnello : « Charles de Foucauld, frère universel ». A travers l’histoire de sa vie et ses écrits, nous avons pu méditer sur cette fraternité. Ce grand personnage qui a voulu aller jusqu’au désert pour se mettre au service des plus pauvres et qui, à l’image du Christ, a tout fait pour prendre la dernière place. Combien son exemple résonne aux oreilles des Captifs, vivant dans la rue ou œuvrant à leurs côtés.

De Saumur à Tamanrasset, les périples de Charles n’ont plus de secret pour nous.

 

« Jamais aucun vaisseau, ni à voiles, ni à vapeurs, ne te mènera aussi loin que la prière ! »

Charles à son neveu

Le Chœur de Saint Roch a ensuite pris le relai pour bercer la prière. Au pied du Saint Sacrement, chacun a pu venir déposer ses soucis, ses intentions pour les confier au Christ. « Nada te turbe », que rien ne te trouble : tous, nous sommes repartis plus apaisés et heureux de ce moment privilégié.

Grâce à vous, les femmes de Sainte-Rita sont parties en séjour !

Partir en séjour, cela sonne comme un départ en vacances. Mais au sein des Captifs, le séjour représente bien plus que cela : un vrai moment de rupture par rapport à la vie en rue, une étape sur un parcours de réinsertion. Et en effet,  quand Joy raconte sa semaine avec les Captifs, son regard brillant annonce les effets bénéfiques de ce voyage !

En février dernier, l’antenne de Ste Rita (Paris, 9e) a emmené 5 femmes, ayant été ou en situation de prostitution, dans les montages, chez Sylvain. Cette famille accueille des associations pour des courts séjours dans les Alpes. Ces quelques jours ont pour objectif de couper avec l’univers de la rue, de se détendre pour retrouver une juste estime de soi et retrouver le courage d’avancer sur le chemin de la réinsertion. Joy a ainsi quitté Paris pour la première fois depuis son arrivée en France.

En 2018, alors qu’elle vient de se faire voler son sac (avec tous ces papiers) par un client, Joy rencontre un binôme de bénévoles des Captifs. Depuis cet événement, elle vient régulièrement à l’antenne de Ste Rita. Les bénévoles et les travailleuses sociales sont devenus ses amis. Aussi quand ils lui proposent de partir à Mesnay, ville où se situe la maison d’ATD Quart Monde, elle n’hésite pas une seconde !

Le programme du séjour ? Des glissades en luge, de grandes marches dans les montagnes pour aller chercher de l’eau à la source, des visites à la ferme/laiterie du voisin. En riant et en me montrant mille et une vidéos, Joy remercie les donateurs pour ces bons moments loin des violences du quotidien :

« On cuisinait ensemble, on mangeait ensemble, on a passé du temps ensemble et c’était vraiment bien ! »

Joy

Ce temps passé avec le binôme de bénévole/salariée présent et les 5 femmes, ont permis d’approfondir les relations. Dans un cadre différent, avec une ambiance moins formelle, les langues se délient et la fatigue s’estompe. Les quelques chutes en luge, la traite des vaches : des moments de détente qui sont autant de bons souvenirs que les femmes gardent précieusement. Pendant quelques jours, Joy et les autres femmes ont quitté leurs soucis pour découvrir la paix des montagnes.

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Marie-Paule, de la prostitution au bénévolat

Dans ce témoignage, Marie-Paule nous raconte comment, grâce aux Captifs, elle a pu sortir de la prostitution et est devenue une bénévole très investie.

Quand Marie-Paule rencontre les Captifs pour la première fois, elle a 62 ans et vend son corps autour de la Gare Saint-Lazare à Paris. 40 ans plus tôt, elle quittait son Nord natal pour fuir un mari violent.

A l’époque de son arrivée à Paris, Marie-Paule fait la rencontre fatale d’un proxénète qui pendant des années la fera tourner à travers l’Europe ; en France, en Belgique et en Hollande. Une vie d’esclavage où on la paie avec des jetons de poker, où on la suit jusque chez le gynécologue, où, pour la terrifier, on lui montre des photos de fugueuses tabassées.

Ce n’est que grâce à l’emprisonnement de son proxénète qu’elle retrouvera sa liberté.

Alors, même des années plus tard, Marie-Paule, qui continue de se prostituer à son compte pour acheter une petite maison, n’a confiance en personne. Seulement, nous confie-t-elle : « Ces bénévoles de l’association Aux captifs, la libération ne sont pas comme les autres. Leurs maraudes sont les mains vides, ils ne proposent rien, sauf des préservatifs si on leur demande. Ils ne cherchent pas à savoir pourquoi ni comment on se prostitue. Ils sont juste là, fidèles au rendez-vous, le même binôme revenant toutes les semaines. ». « Ils étaient polis et ne s’imposaient pas », ajoute Marie-Paule, qui finit par se laisser approcher. Au bout d’un certain temps, elle accepte de venir à l’antenne Sainte-Rita (Paris 9e). Là, elle est reçue comme une personne dans toutes ses dimensions y compris spirituelle et non pas comme une victime qu’il faut sauver. Pour Marie-Paule, qui aime allumer des bougies dans les églises parisiennes, cette dimension religieuse est un énorme plus.

Aussi, Marie-Paule participe assidûment aux séjours proposés par les Captifs. Lors d’un de ces derniers, elle a rencontré le Pape François à Rome. Et c’est lors d’un séjour à Lourdes qu’elle a eu une discussion décisive avec l’un des prêtres qui accompagnent les Captifs. « Il m’a dit : “Bon, Marie-Paule, on fait quoi maintenant ?” Je lui ai répondu : “Mon père, à la fin de l’année, j’arrête la prostitution.” Et je l’ai fait ! », raconte-t-elle, en précisant : « Il m’a beaucoup soutenue. C’est ce prêtre qui m’a envoyée comme bénévole à la soupe des SDF », à la paroisse voisine de la Trinité.

Marie-Paule | Aux captifs, la libération

« C’est une association exemplaire, vraiment, moi, en tout cas, c’est grâce aux Captifs que je suis heureuse maintenant. »

Aujourd’hui, Marie-Paule est une bénévole à l’antenne Sainte-Rita où elle tient les permanences, malgré un cancer qui l’affaiblit.  « C’est une association exemplaire, vraiment, moi, en tout cas, c’est grâce aux Captifs que je suis heureuse maintenant. » conclut Marie-Paule.

Merci au quotidien La Croix qui a recueilli ce témoignage. 

Merci à nos donateurs et aux partenaires financiers qui soutiennent les Tournées Rues et les Accueils pour les personnes en situation de prostitution : Fondation Ad Astra,, Fondation Alter&Care, Fondation Anastasis, Fondation Cassiopée, Fondation Césarini, Fondation Eléos, Fondation Lila Lanier, Fondation Moral d’Acier, Fondation Pélissié du Rausas, Fondation Pipsa, Fondation Saint Vallerin, Fondation Sainte Foy, , Fondation Sisley, , le Secours Catholique.

La rencontre au cœur des maraudes

Témoignage de Laure et Camille, salariée et bénévole à l’antenne Saint-Vincent-de-Paul (Paris 10e) à propos de la rencontre en maraudes.  

Laure est salariée, et plus précisément coordinatrice des tournées-rue, plus communément appelées maraudes, sur le territoire de l’antenne Saint-Vincent-de-Paul (Paris 10e). Depuis maintenant un an, sa principale mission consiste à coordonner les 16 tournées-rue hebdomadaires du quartier, réalisées par des binômes de bénévoles et salariés, toutes les semaines, au même moment et sur le même parcours. Elle est également en charge du suivi social des personnes rencontrées en situation de précarité.

Quant à Camille, elle est bénévole sur cette même antenne depuis plus d’un an. Tous les lundis soir, elle tourne dans le quartier de la Gare du Nord avec son binôme. Sa mission ? Aller à la rencontre des personnes SDF, pour certains, c’est l’occasion de prendre des nouvelles, pour d’autres, de faire connaissance. Quoi qu’il en soit, « chaque semaine, les rencontres et les échanges sont uniques ». Dans la vie, Camille est RH chez un promoteur immobilier « un monde bien différent » nous souffle-elle.

« De cette rencontre, il y a une relation, un lien qui se crée et se tisse au fur et à mesure des semaines dans la fidélité. »

Pour Camille, la rencontre est tout simplement le mot qui définit sa mission. « Et de cette rencontre, il y a une relation, un lien qui se crée et se tisse au fur et à mesure des semaines dans la fidélité » ajoute-t-elle. « Aux Captifs, nous allons à la rencontre des personnes sans-abri les mains nues, c’est-à-dire sans rien apporter, et selon moi, cela favorise particulièrement la profondeur des liens créés. Aussi, je me souviens de Momo, rencontré la semaine dernière, pour qui, le simple fait de parler lui a fait du bien et il nous a remercié pour cela. Souvent, les personnes de la rue souffrent de la solitude, alors simplement discuter est un cadeau gratuit que nous nous faisons mutuellement. Je dis mutuellement parce que ces personnes que je rencontre tous les lundis soir me nourrissent énormément par leur authenticité et leur simplicité. ».

Laure s’exprime à son tour sur le thème de la rencontre : « La rencontre, c’est la raison de mon arrivée aux Captifs. Avant, je travaillais déjà dans le social, mais avec des rencontres toujours très cadrées. Aux Captifs, la rencontre est hors-cadre, non seulement parce qu’elle est dans la rue, mais aussi parce qu’elle est complétement unique à chaque fois. Chaque personne a son histoire. De cette façon, parce que nous avons pris le temps de connaître les personnes en situation d’exclusion que nous accompagnons, le suivi social que nous leur proposons est adapté à leurs besoins. ». Elle complète : « De plus, ces rencontres à mains nues, comme nous le faisons, sont un excellent moyen d’accéder à quelque chose de beaucoup plus profond de la personne. Nous ne pouvons pas nous cacher derrière un thermos de café ou un bonnet. Et ainsi nous avons de vrais échanges profonds. Ces mêmes échanges qui sont réellement recherchés par les personnes de la rue qu’on rencontre, parce qu’en fait l’être humain est profondément social. ».

Merci aux donateurs particuliers et aux partenaires privés qui soutiennent les tournées-rues à la rencontre des personnes sans abri : Bouygues SA, Fondation des Flandres, Fonds Amélie, Fonds Canopée, Fondation Monoprix

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Les Captifs portent le cri de la rue dans la campagne présidentielle

Dans le cadre des élections 2022, l’association Aux captifs, la libération participe à la campagne « Les Oubliés de la République », organisée par The Good Lobby France, un réseau d’expertise pro bono au service des sans voix. Cette campagne a été lancée mercredi 16 mars, sur le média Twitch, en présence de François Hollande. C’est Fabrice, accueilli au sein de la colocation solidaire Valgiros, qui a représenté les Captifs. 

Entrepreneur pendant 42 ans, Fabrice est arrivé à la rue après de multiples galères administratives – dont il n’était pas responsable – qui l’ont contraint à fermer son restaurant et à licencier son personnel. L’équipe d’Aux captifs, la libération l’a rencontré alors qu’il vivait dans sa voiture, au Bois de Vincennes, et aujourd’hui, il est hébergé au sein de la colocation solidaire Valgiros. Son histoire, il a pu la raconter, mercredi 16 mars, à François Hollande, ancien Président, à l’occasion du lancement de la campagne « Les Oubliés de la République » sur le plateau de Purpoz, hébergée sur la chaîne Twitch (revoir le replay).  Cette campagne, lancée par The Good Lobby France, un réseau de conseil au service des associations, se traduit par le lancement de 6 podcasts donnant la voix à des publics que l’on n’entend jamais : des personnes sans domicile, des jeunes placés par l’Aide Sociale à l’Enfance, ou encore des personnes en situation de prostitution. Chaque podcast raconte une ou deux histoires, et porte l’avis de ces personnes sur les politiques publiques à mettre en place.  « En situation d’isolement, ignorés, parfois dans l’angle mort des politiques publiques, ces femmes et ces hommes perdent leur capacité à être acteurs de la société, privés de leur statut de citoyen, explique Gaëtan de Royer, directeur de The Good Lobby. Alors que la démocratie participative apparait comme un élément-clé de la construction d’une politique publique efficace, placer les Oubliés au cœur du débat public, les écouter, constitue un puissant message de fraternité, un premier pas vers leur reconstruction ». Pour lancer la campagne, François Hollande est venu, en direct, sur Twitch, écouter et discuter avec quelques témoins des podcasts. Il a écouté et partagé son retour d’expérience sur les décisions politiques qui peuvent être prises en déconnection avec certaines situations individuelles. Chacun a pu prendre conscience à quel point le lien humain est au cœur de la solution, et qu’il est souvent oublié. Pour Fabrice, la déshumanisation de l’administration française a clairement contribué à sa chute. « Quand vous avez une question à poser sur votre dossier, dans le Jura, et que votre interlocutrice est une téléopératrice basée en Espagne… Comment voulez-vous qu’elle me comprenne ? ». La campagne des « Oubliés de la République » a été lancée en partenariat avec d’autres associations qu’Aux captifs, la libération : Repairs !75 (association d’entraide d’enfants placés), Solenciel (réinsertion des personnes victimes de prostitution), et Entourage (création de liens de voisinage pour les personnes sans-abri). Elle se poursuivra par une consultation des candidats sur leurs ambitions pour lutter contre l’exclusion « civique » et, durant le prochain quinquennat, en sensibilisant les parlementaires à l’intérêt d’engager des rencontres directes avec les Oubliés.  

Pour revoir le lancement des Oubliés de la République, avec Fabrice et François Hollande : 

Ecouter le podcast Les Oubliés de la République, avec les témoignages de Fabrice et Azedine :

Quitter la prostitution ? C’est possible ! Présentation des parcours de sortie prostitution.

Depuis 6 ans, des parcours de sortie de prostitution permettent aux personnes victimes de traite des êtres humains de s’extraire de l’exploitation sexuelle pour s’insérer dans la société. Aux captifs, la libération, nous accompagnons depuis 4 ans des personnes victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle dans ces parcours, explications.

Lors du premier confinement du printemps 2020, avec l’arrêt de leur activité au Bois de Vincennes et à Paris, et l’absence de revenus, beaucoup de femmes en situation de prostitution ont pris conscience qu’une autre vie était possible. Elles souhaitent désormais s’en sortir : 36 personnes sont ainsi venues vers notre association Aux captifs, la libération avec un désir de quitter leur situation d’exploitation.

Aujourd’hui, dans certaines antennes, les demandes d’entrées en Parcours de Sortie de Prostitution (PSP) sont en constante augmentation : les femmes se rencontrent, se passent le mot et elles sont de plus en plus nombreuses à envisager cette solution. Pour une majeure partie, ce sont des femmes nigérianes recrutées, transportées et exploitées sexuellement dans la rue en France, en Allemagne et en Italie, sous la coupe de réseaux de proxénètes violents.

Le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est un dispositif ouvert aux personnes adultes, victime de prostitution, de proxénétisme ou de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle qui souhaitent sortir de la prostitution et accéder à des alternatives.

Ce dispositif, applicable depuis le 15 avril 2017, a été instauré par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (loi complétée par le décret n° 2016-1467 du 28 octobre 2016 relatif au parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle et à l’agrément des associations participant à son élaboration et à sa mise en œuvre et la circulaire du 31 janvier 2017).

Il repose sur les commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains et des associations agréées chargées de la mise en œuvre de ce parcours.

L’entrée dans le dispositif est accordée à la victime par le préfet de département, après analyse de sa situation par une association agréée comme Aux captifs, la libération, et avis de la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains. L’entrée dans le dispositif est accordée pour une période de 6 mois renouvelable dans la limite de 24 mois et offre aux victimes un accompagnement assuré par l’association et l’octroi de droits spécifiques tels qu’une autorisation provisoire de séjour pour les victimes étrangères et une aide financière.

En 2021, 27 personnes suivent actuellement ce parcours, d'autres doivent attendre. Ce parcours de 2 ans implique un engagement fort de la part des personnes : elles doivent cesser leur activité au Bois, être accompagnées vers le logement et l’emploi, et reçoivent une allocation et une autorisation de séjour en échange. En 2022, l’objectif est d’accompagner 8 personnes de plus dans ces parcours, et 12 sorties sont attendues, pour une nouvelle vie hors de l’exploitation sexuelle et de l’univers de la Traite. Le défi va bien au-delà des 2 années de parcours "officiel". Il faut parfois des années pour se relever d'une situation d'emprise, pour passer de victime à survivant.

Article écrit en collaboration avec Gilles Badin, directeur opérationnel du pôle prostitution et Baudoin de Fromont, chargé des partenariats. A retrouver en entier sur Contre la traite des êtres humains.

A lire également : Plaidoyer « Tolérance zéro pour le travail des enfants, le travail forcé et la traite des êtres humains » du Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » dont les Captifs sont membres.

Merci à la DRDFE (Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité) de la Préfecture de Paris, à la Fondation Notre Dame, à la Fondation Cesarini, à la Fondation Moral d’Acier, au Secours Catholique Caritas France, à la Fondation Isabelle et Hubert d’Ornano, et à AXA France de financer ce projet.

L’hospitalité et Aïda : témoignage d’une résidente à Valgiros, la co-location solidaire des Captifs

Echanger sur le thème de l’hospitalité ? Aïda, hébergée à Valgiros, a accepté la proposition, un peu interpelée par ce mot complexe. Et finalement, en nous ouvrant la porte de sa chambre à la colocation solidaire, elle a, de fait, posé en acte son attachement à cette valeur essentielle au sein des Captifs.

Être accueilli chez Aïda, c’est être invité à prendre place parmi ses souvenirs. D’un côté, une étagère remplie de photos, de bougies, de statues, de fleurs séchées et d’un crucifix… de l’autre un lit jonché de peluches. Hébergée à la co-location solidaire Valgiros (Paris, 15e) depuis 3 ans, elle a transformé sa chambre de 9 m² en un musée de sa vie mouvementée. « Je suis arrivée du Portugal à 8 ans. Mon père cherchait du travail, mais il est décédé d’un accident un an plus tard. Dès lors, nous avons dû survivre, ma mère, ma sœur et moi, dans un bidonville en banlieue parisienne », confie Aïda. Malgré tout, elle fréquente l’école, puis décroche un travail à 17 ans, dans un entrepôt ou elle trie des vêtements, et rencontre celui qui deviendra son mari quelques mois plus tard. Une vie simple, sans accroc, où l’hospitalité a alors toute sa place. « Tous les week-ends nous recevions des amis, qui venaient avec femme et enfants, pour nous aider à construire notre maison. C’est moi qui cuisinais pour tout le monde ! ». C’est dans cette maison que son fils et sa fille ont vu le jour. Et puis, un jour, la roue a tourné et de nouveau, la vie d’Aïda a croisé celle de la précarité. Un divorce, des dettes, la vente de la maison, … Elle s’est éloignée de ses enfants et de ses 7 petits enfants. La sœur d’Aïda lui propose de l’accueillir chez elle, mais elle décline la proposition. « Je n’aime pas vivre chez les autres. J’aime me sentir chez moi. » Un rêve pas toujours simple quand on vit du RSA et de quelques heures de ménage par semaine. 

Jusqu’à ce jour de 2019 où elle arrive à Valgiros : à bientôt 61 ans, elle est aujourd’hui l’une des 21 personnes hébergées de cette étonnante maison, dans laquelle cohabitent des personnes issues de la grande précarité et de jeunes actifs, bénévoles de l’association. « Ici, j’ai ma chambre. Je partage la cuisine avec les sept autres locataires de l’étage, mais c’est chez moi ». Aïda a découvert avec Valgiros un lieu où l’hospitalité a ses règles propres. Tous les résidents de l’étage partagent la même cuisine. On y prépare les dîners à tour de rôle. Au rez-de-chaussée, il y a une grande salle à manger dans laquelle nous partageons un déjeuner le mardi, avec l’ensemble des colocs, soit une vingtaine de personnes ! » Des règles auxquelles Aïda a eu un peu de mal à s’habituer au départ, mais qui font désormais parties de son quotidien et qui participent à son bien-être. « On vit comme une famille ici, tous ensemble. On se dispute, on rit, on danse… On peut compter les uns sur les autres. L’équipe est formidable et les jeunes femmes de l’étage, je les considère presque comme mes filles. Ici, c’est ma nouvelle maison. » Avec l’association, cette femme très croyante, vit également des moments forts sur plan spirituel. « A Pâques, pendant le confinement, nous avons fait le chemin de croix dans le jardin ! ». A Noël, elle prend plaisir à aller chez sa sœur, à Villiers le Bel (95), mais elle ne s’y attarde pas. « C’est à côté de mon ancienne maison, et je n’ai pas le cœur de la revoir. J’y passe quand la nuit est tombée… »   Si elle pouvait, Aïda aimerait bien rester à Valgiros toute sa vie. Mais, malgré son âge, elle sait qu’elle devra refaire sa valise. Cette maison n’est qu’une étape dans sa vie, avant une indépendance totale. Son rêve ? Un studio à Saint Denis, à côté du cimetière dans lequel repose sa maman.