« Tous frères et sœurs ? C’est faux ! »

Aux captifs, la libération, nous accompagnons, entre autres, des personnes en situation de prostitution. Notamment dans l’antenne Saint-Gilles-Saint-Leu (Paris 1e).

Béatrice et Felicity sont deux femmes qui connaissent ou ont connu la prostitution. Dans ce témoignage, elles se confient au sujet de la fraternité auprès de leur travailleuse sociale.

Tous frères et sœurs ? « C’est faux ! » La sentence de Béatrice, que nous rencontrons régulièrement en tournée dans la rue Saint Denis (Paris 1e) est sans appel. « Ici, c’est la faune. », insiste-t-elle, en désignant la rue ou elle attend ses clients. Cheveux châtains encadrant ses yeux noisette, Béatrice, âgée d’une soixantaine d’années nous accueille sous l’embrasure de son immeuble avec un grand sourire relevé par un discret maquillage. « Nous sommes dans une société individualiste et égoïste, déroule-t-elle, volubile, où il n’y a plus ni valeurs morales, ni respect. ». A celle pour qui la rue n’est qu’âpreté, comment parler de fraternité ? A la rue depuis le krach boursier de 2001 dans lequel elle a perdu toutes ses économies elle finit par atterrir dans son studio du centre de Paris où elle est victime à répétition du sabotage des autres filles de la rue. « Tous les gens à qui j’ai fait confiance m’ont escroquée, y compris ma famille. Là où je vis, je suis obligée de me méfier. ». Intuitive, elle perçoit avec finesse ceux qu’elle rencontre et trie selon la bonté qu’elle devine ou non. Nous aussi, nous sommes passés au crible. Serons-nous jugés dignes de confiance ?

Chez les femmes nigérianes, en revanche, la sororité est de mise. « Sister, sister !» les entend-on se héler. La sister, c’est d’abord toute femme nigériane qui parle la même langue, vient du même pays, a le même parcours. Mais c’est aussi tous les autres vivants et nous, les Captifs : « Toi aussi, tu es ma sister. » Nous avons rencontré Felicity en 2015, rue Saint Denis. Mère de deux enfants au pays, elle a été victime d’un réseau de traite des êtres humains. Elle parvient en France et est projetée dans la rue ou elle doit y rembourser une dette. Onze ans après son arrivée en France, Felicity est aujourd’hui en Parcours de Sortie de Prostitution, un parcours de régularisation. « Aux Captifs, c’est ma maison. Aux moments de ma vie ou tout s’effondrait, vous ne m’avez pas abandonnée. Je ne pense que vous puissiez me trahir un jour. ».

Dans la vie de Béatrice aussi, malgré tout, des éclats fugaces de gratuité sont marqués à jamais. Elle évoque, heureuse, sœur Noëlle et sœur Elisabeth, anciennes bénévoles des Captifs et Petites Sœurs de Jésus et se remémore le sourire aux lèvres de leurs visites régulières : « Cela me faisait du bien. Avec elles, je n’avais pas besoin d’armure. » « Et avec nous ? » m’enquis-je, me souvenant de nos longues discussions en tournée-rue « J’étais admirative de votre dévouement. Le temps c’est précieux et vous me le donniez. ». La voix emplie de douceur, elle raconte comment elle se sent sereine lorsque nous la rencontrons : « Il n’y a pas de vice ou d’arrière-pensée. J’aime bien ce contact qui n’a rien à voir avec mon milieu. ». Si Béatrice récuse le terme d’« amitié » pour décrire notre lien, elle s’accorde bien volontiers à parler de fraternité. Oui, c’est bien une fraternité que nous vivons. Au moment de se quitter, tout sourires, nous nous promettons, d’aller rendre visite, ensemble, aux Petites sœurs de Jésus qui lui ont tant fait de bien.

Merci aux partenaires financiers qui soutiennent nos projets autour de l’accompagnement des personnes en prostitution :  Bouygues S.A, Fondation Charles Defforey, Fondation Eléos, Fondation Isabelle et Hubert d’Ornano, Fondation Moral d’Acier, Fondation Notre Dame, Fondation Sisley, Le Maillon, le Secours Catholique.

Gare du Nord : des vies entre les lignes

Maraude à Paris.

La Gare du Nord à Paris abrite de nombreuses victimes de la grande pauvreté. En mars 2022, Libération publiait un article en huit épisodes faisant le récit de vies brisées et parfois réparées. Cet article est le fruit d’un reportage mené pendant un an auprès de Odile Girardière, référente sociale SNCF, qui effectue des maraudes depuis bientôt cinq ans. Nous vous proposons de retracer les grandes lignes de ce reportage afin de mettre en lumière des parcours de vie variés, qui se croisent au sein d’un territoire complexe, ou intervient également l’association les Captifs via son équipe Maquéro et l’Espace solidarité insertion.

Symbole de la révolution industrielle, la Gare du Nord n’est pas seulement un phénomène architectural où embarquent et débarquent produits et passagers. Espace public et donc ouvert, elle est également un système polymorphe ou s’entremêlent divers espaces d’activités et d’interactions. Elle est la gare la plus fréquentée d’Europe, avec 700 000 voyageurs quotidiens qui s’y croisent et 2000 trains qui s’y arrêtent.
A Paris, la géographie du sans-abrisme ne bouge guère, les SDF se concentrant majoritairement dans les quartiers fréquentés. La dernière enquête de la Nuit de la solidarité à Paris confirme cet effet de concentration autour des gares (Nord, Est, Saint-Lazare et Montparnasse) et grandes stations RER. En effet, les gares sont bien souvent des refuges pour des sans-abris homme, femmes, âgés ou plus jeunes, seuls ou non, qui cumulent des problèmes entremêlés : toxicomanie, addictions, problèmes psy, ruptures familiales etc… De fait, la Gare du Nord est aussi un lieu d’intervention pour quelques associations et travailleurs sociaux et s’insère dans un écosystème plus large au-delà de ses frontières physiques, sur son parvis ou encore sur la dalle chauffante en face du Burger King, lieu de vie bien connu pour certains sans-abris cherchant un peu de chaleur.

Odile Girardière est référente sociale de la Gare du Nord et réalise des maraudes depuis quatre ans et demi aux côtés de Badiaa et Manu, deux policiers en civile. Deux à trois fois par semaine, lorsque la gare est ouverte, entre 5h et 1h du matin, ils arpentent le cœur de la Gare du Nord et prolongent leur parcours vers la gare de l’Est et la Gare Saint Lazare. Le trio est le mousqueton d’un maillage d’associations, soignants, agents de sécurité et institutions. Le regard aiguisé, ils interviennent en amont, pour repérer les personnes en marge, créér du lien et écouter. Jamais loin, leurs acolytes de la sureté ferroviaire, la Suge mais également l’équipe Maquéro rattachée aux Captifs, composée d’un psychologue, d’une infirmière et d’un travailleur social, qui interviennent en maraude et proposent également des accompagnements administratifs, sanitaires ou encore de dynamisation au sein de l’Espace Solidarité et Insertion (ESI) situé à deux pas de la gare. Non loin de là, l’espace Gaia et ses travailleurs sociaux interviennent également en maraude et accueillent, au sein de la première salle parisienne de consommation à moindre risque, une partie des usagers de drogue parmi les plus précaires et marginalisés de Paris.

Avec la crise sanitaire, de nouveaux profils viennent se mêler aux sans-abris de plus longue date, qui vont et viennent, s’y fixent ou non et y meurent parfois. L’espérance de vie des personnes à la rue est de 48 ans et les principales causes de décès sont liées aux maladies ou aux agressions. Parmi les nouveaux profils, les équipes peuvent y croiser des femmes seules (13% des sans-abris à Paris), comme Anita, médecin anglais d’une cinquantaine d’année disparue de la gare du jour au lendemain, mais également des personnes à la rue vieillissantes. Du fait d’un cumul de problèmes, une personne à la rue est considérée comme âgée bien avant l’âge autour duquel une personne peut être considérée comme telle. Odile Girardière évoque le parcours de JP, dit « papi Noël », arrivé autour de la gare vers 20 ans, après avoir quitté Valenciennes suite à un accident qui le plonge dans la précarité. A aujourd’hui 67 ans, JP a quitté la gare depuis peu pour une maison de retraite en Seine-et-Marne. La Gare du Nord, c’est aussi le creuset de personnes souffrant d’addictions (56% des personnes sans-abris à Paris), auxquelles se cumulent bien souvent des problèmes de santé mentale (45% des personnes à Paris). C’est le cas de Hicham, père de famille, qui tombe dans la dépression, l’alcool et la rue après avoir perdu son boulot de professeur et sa femme. De leur côté, le couple formé par Mathieu et Sabrina est originaire de Picardie ou ils cumulent boulots précaires et problèmes de drogues. Arrivés à Paris pour se soigner, ils tombent vite dans le crack et la mendicité. Après avoir frôlé la mort, ils trouvent finalement un logement social dans la Somme et deviennent clean.

Le projet Horizon 2024 a été lancé par la SNCF et la mairie de Paris dans le cadre des Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris en 2024. Dans ce cadre et entre autres aménagements destinés à accueillir de nombreux voyageurs, la fameuse dalle chauffante du Burger King sera remplacée par une halle aux vélos. Autant de problématiques de rénovation à considérer à l’aune des personnes évoluant Gare du Nord : ces travaux n’entrainent pas qu’un changement fonctionnel et architectural mais secouent un véritable microcosme social.

Tous les chiffres sont issus de l’enquête de la nuit de la solidarité de 2021 :
Apur, « La nuit de la solidarité : les personnes en situation de rue à Paris la nuit du 25-26 mars 2021, analyse des données issues du décompte de la 4ème édition de la nuit de la solidarité » (2021) : https://cdn.paris.fr/paris/2021/11/08/34e20b746fcf30f56efc07c553fc3b75.pdf

Tu connais la coloc’ solidaire ? Découvre le témoignage de Martin, volontaire à Valgiros

Je m’appelle Martin, j’ai 26 ans, je travaille dans une grande entreprise tech française et depuis six mois, je vis avec des anciens sans abris à Valgiros, la colocation solidaire des Captifs.

Pourquoi as-tu choisi de vivre à Valgiros ?

Depuis plusieurs mois, je m’interrogeais sur mon rythme de vie : j’avais plusieurs engagements à droite et à gauche, professionnels, associatifs, paroissiaux, amicaux… J’avais l’impression de ne jamais toucher terre, de ne pas parvenir à m’ancrer : dans ma vie quotidienne, avec les personnes qui m’entourent, dans ma vie de foi et de prière. Je sentais que cette vie m’épuisait, peu à peu, comme si elle se vidait de son sens.

Ma réflexion sur la colocation solidaire – qui trottait dans ma tête depuis plusieurs années – s’est alors intensifiée. J’ai donc contacté Baptiste, volontaire à Valgiros jusqu’en juillet dernier. Nous nous sommes vus, il m’a présenté Valgiros, de manière assez « cash », sans angélisme : tout ce que j’aime ! Puis je suis venu dîner deux fois, j’ai rencontré Véronique, la directrice, qui a été tout aussi « cash », et je me suis décidé ! J’ai rendu mon grand et confortable appartement du 12ème arrondissement et j’ai emménagé à Valgiros le jour de la Pentecôte, un an jour pour jour après avoir reçu la Confirmation. Une coïncidence dont je me suis rendu compte que récemment, et qui n’est pas vraiment un hasard à mes yeux.

En quoi consiste ta mission comme volontaire ?

Mon entourage me demande souvent en quoi consiste mon engagement, concrètement.

Il m’est très difficile de répondre à cette question : nous avons bien sûr des obligations chaque semaine, mais notre mission ne peut s’y résumer. Un dîner hebdomadaire et une activité culturelle ne suffisent pas à s’enraciner dans le lieu et à tisser des relations fraternelles !

En fait, je réponds souvent, sur un ton provocateur, que « je ne sers à rien ». Je ne vais pas sauver les personnes avec qui je vis : seul Dieu sauve. Je ne suis pas même certain que leur situation s’améliorera à mon contact : je ne suis pas travailleur social, et de toute façon, le choix de la réinsertion (sous toutes ses formes) ne nous appartient pas. Ce qui est certain, c’est que la plupart de mes colocs vivaient à Valgiros avant moi, et continueront sans doute d’y vivre après mon départ.

Non, mon utilité, notre utilité, est ailleurs : celle d’être là, tout simplement, et d’essayer de vivre une vie fraternelle, sans rien en attendre. Ni plus, ni moins. C’est un vrai travail d’humilité ! C’est d’ailleurs à travers cette vie communautaire que je me rends compte de toutes mes faiblesses et mes imperfections dans la manière de la vivre et dans ma relation aux autres. J’ai parfois l’impression d’avoir la maladresse d’un manchot sur une trop fragile banquise.

Quels en sont les fruits ?

Dans un texte que j’ai lu récemment, L’arbre renversé, Pierre Favre, son auteur, invite à se consacrer et se concentrer davantage sur les racines, plutôt que sur les fruits. Ce texte exprime très bien la manière dont j’entrevois mon engagement : ne pas chercher les fruits, se concentrer sur l’enracinement.

Pourtant, les grâces sont nombreuses à Valgiros. Celles du quotidien : une discussion, un fou rire, un repas partagé, un échange de regards silencieux. Rien de bien extraordinaire, mais « il en faut peu pour être heureux » comme dit le dicton, et il se vérifie pleinement ici.

Une autre grâce est celle d’avoir une équipe de volontaires renouvelée : sans doute pour la première fois dans l’histoire de Valgiros, nous tous, Maïté, Apolline, Pauline, Gonzague, Ange-Pierrot, Paul et moi sommes arrivés quasiment en même temps, à quelques semaines d’intervalle. Nous formons une équipe soudée et très complémentaire, dans nos personnalités, nos qualités et nos faiblesses.

Bien sûr, derrière ces petites (et grandes) joies du quotidien, il y a les difficultés de tous les jours et de notre mission dans son ensemble. La plus grande pour moi est de travailler ma patience, pour faire toujours grandir l’amour envers mes colocataires, même quand parfois c’est difficile, quand la différence est trop grande, que le fossé est trop profond. Cette différence, ce fossé, peuvent prendre bien des formes : le rapport à l’hygiène et à la propreté, à la vie collective, les comportements et les tempéraments, les effets liés à la consommation parfois excessive d’alcool, la différence d’âge et de vécus et puis, évidemment, les affinités de chacun. Quoi qu’il en soit, et c’est peut-être le principal finalement, je chemine, sur ma banquise !

Mais la profonde joie de ma mission, c’est de découvrir un peu plus chaque jour la manière dont Jésus se rend présent en ce lieu, dans les liens que nous tissons et avant tout dans le coeur de mes colocataires. Peu à peu, Il se dévoile. Dans les discussions, les rires, les regards, les larmes. Dans les petits coups de sang ou les grandes colères. Dans les addictions et la souffrance la plus profonde. Celle de vies abîmées ou brisées, captives, qu’Il ne vient pas forcément réparer, mais qu’Il remplit de son amour.

Depuis quelques semaines, nous vivons une expérience très forte. Naïma, 60 ans, abîmée par 20 ans de rue et deux accidents qui l’ont rendue infirme, a chuté dans le salon et s’est brisé la rotule. Dès les premiers jours, sans se concerter ni vraiment se coordonner, nous assistons Naïma dans ses moindres mouvements : faire sa toilette, se lever, se coucher, se déplacer, se nourrir, s’habiller et se déshabiller… Pour la plupart d’entre nous, c’est une première. Nous n’avons pas réfléchi : c’est les coeurs et les mains maladroites qui agissent, peut-être guidés et aidés par l’Esprit Saint.

Le cœur à cœur que nous vivons avec Naïma, dans sa souffrance, ses sourires, ses grimaces, ses blagues, ses jurons et ses colères, est souvent exigeant voire difficile à porter, avant tout pour elle-même.

Toutefois, il est magnifique et bouleversant à bien des égards. Il me fait grandir et je sais déjà qu’il restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Une invitation pour nos lecteurs ?

Oui ! Nous recherchons deux volontaires, hommes, pour nous rejoindre. N’hésitez pas à découvrir et faire découvrir Valgiros sur valgiros.captifs.fr !

« Notre travail demande d’avoir de l’espoir pour les aider à se raccrocher à de petites choses »

Youri et Hélène en septembre 2020.

Témoignage d’Hélène Lamarque, responsable de l’antenne Lazare (Paris 16ème) depuis janvier 2022. Antenne qui accompagne des personnes en situation de prostitution, rencontrées au bois de Boulogne en tournée-rue. Dans ce témoignage, Hélène nous explique en quoi l’espérance est au cœur de ce qu’elle vit aux Captifs.

Aujourd’hui, en tant que responsable d’antenne, la mission principale d’Hélène est de mettre en œuvre le projet Captifs sur le secteur géographique de l’antenne, en animant et en organisant la vie de l’équipe :  les permanences, les tournées-rue, les sorties, etc,. Elle apporte aussi une vision en termes d’accompagnement et de spiritualité.  

Auparavant, Hélène était travailleuse sociale pendant presque 4 ans au Centre d’Hébergement de Stabilisation (CHS) Valgiros, un lieu pour « se poser et se reposer et donc se stabiliser après la rue ». Là, sa mission était d’accueillir et accompagner les 21 résidents dans leur accompagnement global : santé, insertion, dynamisation, d’ouverture des droits, etc.

Pour Hélène, le thème de « l’espérance quand tout est perdu » résonne particulièrement : « Je réalise que dans notre travail, on ne rencontre pratiquement que des situations qui nécessitent l’espérance, car il s’agit souvent de situations désespérées : désespoirs de rue, de prostitution, d’insertion, de solitude, etc. Dans ces situations, notre rôle de travailleur social c’est un peu de raccrocher ces personnes qui n’ont plus envie de rien, à la vie.  Alors, notre travail demande d’avoir de l’espoir, de l’espoir pour les aider à se raccrocher à des petites choses, à des petits objectifs « très humains », et d’avoir de l’espérance quand il est impossible de se raccrocher à ces petites choses. A ce moment-là, il faut aller chercher plus loin, il faut cheminer avec la personne. Parfois je me dis que notre boulot, c’est un peu comme faire une transfusion, comme si nous transpirions d’une foi et d’une espérance suffisamment fortes pour leur redonner ce gout de vivre. ».

Et quand Hélène pense à l’espérance, elle pense en particulier à un certain Youri qu’elle a accompagné à Valgiros : « Youri, je le connaissais très bien, puisque j’ai été son assistante sociale puis sa marraine et ce thème de l’espérance quand tout est perdu me fait énormément penser à lui. Effectivement, quelques années après son arrivée à Valgiros il est tombé malade et progressivement, il a compris qu’il allait mourir. Atteint d’un grave cancer, on ne lui prédisait plus que quelques mois à vivre, mais les quelques mois se sont transformés en deux ans de combats contre la maladie. Deux ans de combats et d’acceptation. Je crois qu’il faut être fort pour espérer dans la durée, mais c’est aussi en espérant qu’on devient fort… ou plutôt qu’on laisse Dieu être fort en nous. Cela est possible si on s’ancre à quelque chose ou à quelqu’un dans la fidélité indéfectible. Assez vite, il a décidé de se préparer au baptême et je pense que cela répondait à une soif spirituelle de préparer l’après, c’était une source d’espérance. Quand la mort se présente, il y a d’autres formes de vie qui se présentent, et le baptême c’est la Vie éternelle.

En termes d’espérance, la deuxième chose à laquelle je pense pour Youri, c’est la réconciliation avec sa famille. Il a eu une vie de famille extrêmement abîmée et ne parlait plus, ni à son frère, ni à sa nièce. Pourtant, quand il est tombé malade, je ne sais plus de quelle façon, mais sa famille a été mise au courant, et son frère est venu le voir, sa nièce, a fait des pieds et des mains pour le retrouver, pour comprendre ce qui c’était passé, pour comprendre cette situation d’exclusion. Ils se sont envoyés des photos, ils se sont écrit, ils se sont téléphoné, … et c’est peut-être dans ces situations où tout est perdu, que justement il n’y a plus rien à perdre, alors on pense à l’essentiel, on se pardonne et on se réconcilie ! ».

Elle conclut : « Pour moi, Youri a trouvé une source de vie à sa façon à travers la foi. Et peut-être que des situations de désespoir permettent d’avoir accès à des choses qu’on espérait plus, qu’on n’avait pas imaginé, et qui se produisent. ».

Grâce à vous, Happy a rejoint l’atelier BOSCO !

Happy est Nigériane. En très grande précarité, elle a rencontré les Captifs en 2021. Au fil des échanges, et portée par l’envie de construire un nouveau projet de vie, elle a choisi de rejoindre l’atelier BOSCO il y a quelques mois. Une femme parmi des compagnons peinture, une première pour les Captifs.

« Quelqu’un m’a donné l’adresse des Captifs de Paris Centre (dans la paroisse Saint-Leu Saint-Gilles, Paris 1er) alors je suis allée voir l’antenne en 2021. A force d’y aller toutes les semaines et de participer aux différents séjours hors de Paris, la travailleuse sociale qui s’occupait de moi m’a proposée de venir à l’atelier BOSCO pour apprendre un métier et travailler. »

L’Atelier BOSCO est l’atelier d’insertion sociale et professionnelle par la peinture sous statut OACAS (Organisme d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires) créé par l’association Aux captifs, la libération en 2015 Il permet à des personnes en précarité de regagner leur dignité par une activité professionnelle. L’équipe de peintres, encadrée par un chef d’atelier, réalise des travaux de rénovation à Paris et en proche banlieue : peinture des murs, des sols et des plafonds, pose de revêtements, murs, rénovation d’intérieur, nettoyage…Il y a quelques mois encore, les compagnons étaient exclusivement masculins. Depuis, deux femmes ont rejoint l’atelier dont Happy.

« Les autres compagnons m’ont appris comment peindre et comment travailler sur un chantier. Nous commençons par préparer le chantier, notamment en protégeant le sol, puis nous ponçons les murs et enfin nous peignons. J’ai déjà fait quatre chantiers depuis mon arrivée !

Je ne peux pas dire que ce soit facile de rejoindre l’OACAS peinture mais si avec le bon état d’esprit, c’est possible. Il faut avoir le désir de travailler et d’apprendre pour devenir meilleur en peignant. Et puis dans l’équipe, nous nous entendons bien. Nous sommes comme une communauté qui se retrouve tous les vendredis pour un repas tous ensemble !

Si je devais conseiller quelqu’un qui allait rejoindre l’atelier, je lui dirai que les compagnons sont très amicaux. Ils sont prêts à nous apprendre à peindre, si nous le voulons vraiment. C’est très important d’être motivé pour rejoindre l’OACAS.

Pour moi, c’est une chance d’avoir pu rejoindre l’atelier BOSCO ! »

Ils s’engagent avec nous : Sylvie Bretones, déléguée générale Fondation Notre Dame

Quel chemin professionnel vous a amenée à prendre la tête de la Fondation Notre Dame en 2022 ?

Après vingt ans passés à financer des grands projets industriels en Europe, j’ai souhaité prendre une orientation professionnelle différente. Ce tournant prolonge surtout une série d’engagements associatifs forts depuis l’adolescence. Pragmatique et ancrée dans le concret, je suis heureuse d’avoir contribué à la réalisation de ces infrastructures d’utilité publique. Mais je souhaitais toucher plus directement mes contemporains.

Ainsi, je me suis intéressée un temps au financement du vieillissement et de la perte d’autonomie, avant de rejoindre la Fédération VMEH (Visite des Malades en Établissements Hospitaliers et des résidents en EHPAD). Ce mouvement est issu des œuvres des saints Vincent de Paul et Louise de Marillac. J’ai été Secrétaire Générale de la Fédération et Présidente de l’association des Hauts-de-Seine, un bénévolat à plein temps pendant près d’une année qui m’a permis de mûrir ma réflexion et d’éprouver ma motivation sur le terrain.

C’est à ce moment que j’ai été contactée par le diocèse de Paris pour prendre en charge l’ensemble de ses ressources financières, la Fondation Notre Dame mais aussi le denier et les libéralités.


Quels sont vos premiers émerveillements ?

Je suis très touchée par l’engagement des équipes de salariés et de bénévoles, leur professionnalisme ainsi que par la simplicité qui se dégage. Notre Fondation vit grâce à la générosité du public et nous cherchons à avoir, au quotidien, l’action la plus juste possible. Depuis mon arrivée, j’ai compris ce que le discernement, dans nos actions, signifie réellement.


Quelle impression avez-vous eue sur l’action des Captifs ?

Je connaissais Thierry des Lauriers avant de rejoindre la Fondation Notre Dame et suis admirative, depuis longtemps, de l’action des équipes de salariés et de bénévoles des Captifs.

La rencontre « à mains nues » des personnes à la rue est précieuse, surtout dans notre société qui semble parfois indifférente à la misère humaine. L’attention et l’écoute que vous portez avec le cœur aux plus fragiles favorisent une action et un accueil de qualité, visibles lors des échanges et des visites terrain avec la Fondation. Avec le temps, certains peuvent se reconstruire et regagner en autonomie. Le programme Marcel Olivier d’accompagnement de la consommation d’alcool, particulièrement encourageant, illustre le travail innovant mené par vos équipes en ce sens. 

Valgiros cherche des « colocs » et le fait savoir

La colocation solidaire des Captifs, Valgiros , située dans le 15e arrondissement de Paris, cherche 2 nouveaux colocataires. Pour le faire savoir, et donner des clés concrètes pour le discernement des potentiels candidats, les résidents ont lancé un mini site !

En effet, qui mieux que ceux qui vivent déjà l’expérience de la vie communautaire avec des anciens de la rue, pour répondre aux questions de ceux qui sont en pleine réflexion sur ce sujet ? Forts de cette conviction, les colocataires ont donc créé une page numérique dédiée sur le sujet, pleine de contenus inédits : des témoignages, des photos et des vidéos sur les engagements concrets des bénévoles.


Vous avez besoin qu’on vous réexplique le projet ? Valgiros est un Centre d’Hébergement de Stabilisation (CHS) qui offre aux personnes issues de la grande précarité un espace pour se reconstruire et trouver une nouvelle autonomie, en colocation avec des bénévoles, souvent actifs ou étudiants. Ce centre accueille 21 personnes et 9 bénévoles.  Ces derniers s’engagent à y habiter 1 an minimum, et partagent la vie quotidienne des accueillis (repas, tables ouvertes, tâches ménagères…), tout en construisant des relations de confiance fondée sur la bienveillance et la fraternité et en organisant des activités et des sorties culturelles pendant les week-ends.

Ceux qui y ont vécu gardent de précieux souvenirs : « Merci pour les rires, les moments improvisés, les repas, les bières, les balades de nuit et les balades de jour, les conversations en petit comité et celles en grand groupe, les discussions animées et les silences, les films qu’on regardait et ceux qu’on se faisait, les virées plages, les virées nocturnes, les tournois de baby-foot, les causette et galettes, où vous veniez plus pour nous faire plaisir qu’autre chose, les concours inter-étages, même si on les a tous perdus. »


Pour continuer de permettre aux personnes de la rue de trouver à Valgiros un tremplin vers une réinsertion, nous avons besoin de nouveaux colocataires. Alors si vous cherchez une mission avec du sens et voulez profiter d’un jardin exceptionnel en plein Paris avec des colocs hors du commun, n’hésitez plus et cliquez ici pour découvrir Valgiros :

Merci également de partager autour de vous !

Une prière-rue avec le chanteur Grégory Turpin

Chaque mois, dans toutes les antennes des Captifs, les personnes accueillies, les bénévoles et les salariés, qui le souhaitent, se réunissent pour prier ensemble. Ces temps privilégiés sont l’occasion de confier au Seigneur les peines et les joies de l’antenne, de prier pour et avec les personnes de la rue.

Dans l’antenne Sainte-Rita (Paris, 9eme), les Captifs ont eu la joie d’accueillir le chanteur Grégory Turpin pour leur prière-rue du mois de novembre. Après une première rencontre quelques jours avant, entre les femmes de l’antenne et Grégory, pour préparer cet instant, tous se sont retrouvés dans la chapelle Sainte Rita le jour J. Les paroissiens ont ainsi pu entendre une douce harmonie s’élever à travers les fenêtres. Les femmes ont repris en chœur les refrains, en anglais, des morceaux chantés, en français, par le chanteur.

C’est dans cette atmosphère recueillie et apaisante, que les personnes accueillies ont préparé la crèche de la paroisse pour annoncer le début de l’Avent. Nous nous sentons tellement chanceux d’avoir vécu ce moment que nous souhaitions vous en donner un petit goût :

Les 20 ans de la mort de Patrick Giros

Il y a 20 ans, le 28 novembre 2002, après quelques semaines à l’hôpital, Patrick Giros, prêtre du diocèse de Paris, fondateur d’Aux captifs, la libération retournait vers le Père. Il s’est laissé bouleverser par les plus faibles toute sa vie. Il a transmis à l’association dans son action, dans ses écrits, dans ses rencontres l’essentiel de ce qui le mobilisait. Les équipes des Captifs d’aujourd’hui sont héritières de sa vision prophétique, de son élan, de sa manière d’être et de faire. Sa figure est donc une référence.

 

Patrick Giros est né le 23 janvier 1939, à Paris. Sa proximité avec les blessés de la vie se développe en premier lieu au sein de sa famille : parmi ses dix frères et sœurs, trois étaient porteurs de handicap. Ordonné le 29 juin 1968, son ministère commence comme vicaire à Sainte-Geneviève-des-Grandes-Carrières où il restera 11 ans. En mission auprès des jeunes “blousons noirs”, il est saisi par le spectacle de jeunes en proie à la drogue, et il développe alors l’association Trinité-Vintimille-Anvers-Sacré-Cœur. Nommé en 1979 vicaire à la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal (Paris 16ème), il est encouragé par le curé, le père Jean-Marie Lustiger, qui deviendra cardinal dès 1981, à creuser son expérience ; il dégage alors les idées-forces de ce qu’il veut être une présence évangélique et ecclésiale dans la rue :

> Une prise en considération de la dimension spirituelle des personnes de la rue.

> L’Église comme porteuse de sacrements et signe de miséricorde pour les exclus.

> Une dynamique de rencontres sur leurs territoires de vie, sous la forme de “ tournée-rue les mains-nues ’’ c’est-à-dire en se donnant soi-même avant de donner quoi que ce soit.

> Un travail social authentiquement humain, centré sur la personne, son histoire, ses ressources, sa liberté.

> Une collaboration entre bénévoles et salariés. Sur ces bases, il fonde l’association Aux captifs, la libération.

À l’église Saint-Gilles-Saint-Leu, dont il devient chapelain en 1983, il déploie l’association au cœur de Paris. Dans les années 90, le Cardinal Lustiger le missionne à plein temps pour les Captifs. C’est l’occasion pour lui de créer deux nouvelles antennes dans les paroisses St-Vincent-de-Paul près de la gare du Nord, et l’Immaculée-Conception près de la place de la Nation. Le 28 novembre 2002 sa vie terrestre s’achève à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Patrick était un prophète. Il a secoué l’Eglise qu’il aimait, et aussi les élus et les fonctionnaires de la Ville de Paris ! Aujourd’hui encore, son souvenir reste bien vivant chez les Captifs qui l’ont connu. Si ses justes colères sont restées célèbres, son sourire et son amitié sont gravées dans le cœur des personnes de la rue.

Nous nous sommes donc retrouvés pour célébrer une messe, avec la liturgie de Sylvanès en polyphonie chantée par un chœur, en sa mémoire le 28 novembre dernier à l’église Saint-Leu-Saint-Gilles (Paris, 1er). Une lecture de quelques-uns de ses textes puis un moment convivial plein d’émotions ont suivi.

« 10% de la population française a moins de 3 conversations par an »

Relation et numérisation : alliées ou ennemies ? Tel était le thème de la Table ronde des Captifs

Après deux années d’interruption, suite au Covid et aux 40 ans de l’association en 2021, Aux captifs, la libération a relancé les tables rondes Entreprises-Associations avec un thème plus que jamais d’actualité : « Relation et Numérisation : alliées ou ennemies ? ».

Cet événement annuel est l’occasion de convier tous les donateurs des Captifs ainsi que plusieurs partenaires pour les remercier de leur soutien et réfléchir ensemble à des sujets qui touchent l’association. Ce lundi 21 novembre dernier, nous nous sommes retrouvés au Collège des Bernardins à Paris. Nous avons eu la joie d’accueillir le docteur Bertrand Galichon (médecin urgentiste, auteur de L’esprit du soin, Jean-Marc Potdevin (ancien dirigeant de Kelkoo et Yahoo, fondateur d’Entourage et Linked out), Hélène Subremon (sociologue, directrice expérience collaborateur, Saint Gobain Distribution Bâtiments France) et Joseph Thouvenel (secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens) pour écouter leurs réflexions à ce sujet.

Ce que nous avons creusé ? « Les entreprises et les associations généralisent le télétravail : certains s’en réjouissent, d’autres s’en désolent. Certains nous annoncent que nous passerons bientôt une heure par jour dans le monde virtuel du Metavers : évasion romanesque ou piège addictif ? La dématérialisation de la monnaie et des tickets restaurant compliquent la vie de ceux qui font la manche, des millions passent de main en main via des écritures informatiques : l’argent sans contact, bonne ou mauvaise idée pour des relations saines ? La crise de la Covid a dopé la télé consultation et les médecins posent des diagnostics à distance : les patients sont-ils devenus des dossiers ? Ces quelques constats et beaucoup d’autres nous conduisent légitimement à nous demander : Quel avenir pour la relation ? Faut-il sauver la relation ? La relation : luxe ou nécessité fondamentale de l’être humain.? »

Alors si le sujet vous intéresse mais que vous n’avez pas pu assister à ce rendez-vous, voici le replay de la Table ronde : https://www.youtube.com/watch?v=g8GKorVxM9Q