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Sortir de la prostitution, c’est possible ! Interview avec Roxana Maracineanu

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Nos actions prostitution Témoin expert
04 - 03 - 2025
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3 questions à Roxana Maracineanu

Roxana Maracineanu est Secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

1/ Quel est votre regard sur la loi de 2016? Est-elle suffisamment appliquée ?

Par décision de ses parlementaires, la France a fait le choix d’inscrire dans la loi sa position abolitionniste en matière de prostitution.
Cette loi du 13 avril 2016 permet non seulement de mettre fin au délit de racolage, qui était une aberration, mais aussi d’octroyer un accompagnement spécifique et un certain nombre de droits aux victimes du système prostitutionnel et d’exploitation sexuelle. De plus, elle s’attaque à la racine du problème : la pénalisation des clients qui entretiennent le système. On a souvent présenté la prostitution comme le plus vieux métier du monde, il était temps que nous regardions cette pratique pour ce qu’elle est : l’expression d’un système de domination masculine qui chosifie et marchandise le corps des femmes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 94% des victimes de prostitution et de proxénétisme enregistrées par les services de police et de gendarmerie en 2022 sont des femmes. Et 99% des clients sont des hommes.

En somme, cette loi grave dans notre droit la prostitution comme une violence faite aux femmes avec des effets délétères pour leur intégrité physique et leur santé. La psychiatre Muriel Salmona estime que 68 à 80% des femmes en situation de prostitution présentent des troubles de stress post traumatique.
Pour toutes ces raisons, ce texte est un pas en avant indéniable et il faut saluer la détermination de celles et ceux qui l’ont défendu, je pense notamment à Catherine Coutelle et Maud Olivier qui ont œuvré pour l’inscrire à l’agenda parlementaire et à la représentation nationale qui, après de longs débats, l’a voté. La loi a créé des droits nouveaux pour les femmes en situation de prostitution et les victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et c’est sur ce volet que la Miprof intervient aux côtés du Service des Droits des femmes.
En ce qui concerne l’application de la loi, il y a déjà eu plusieurs évaluations par les inspections générales, le Haut Conseil à l’Egalité et les associations qui accompagnent les victimes.

Des indicateurs fiables mesurés sur la durée sont des clés pour conduire ce travail. C’est précisément ce à quoi l’Observatoire national des violences faites aux femmes piloté par la Miprof s’attache en publiant désormais annuellement des données objectives sur le phénomène prostitutionnel : combien de procédures enregistrées par les forces de sécurité, quel traitement judiciaire y a été donné, combien de dossiers présentés dans les commissions PSP (Parcours de sortie de prostitution), AFIS et/ou titres de séjour accordés ou non ? Il nous faut mesurer aussi l’évolution du volume des contraventions pour recours à la prostitution. L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRETH) indiquait dans les formations dédiées à la lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains organisées par la Miprof et l’ENM que les contraventions dressées par les forces de sécurité pour recours à la prostitution étaient passées de 674 en 2016 à 1412 en 2023. On doit faire mieux.

Comme nous devons aussi faire mieux s’agissant des achats d’actes sexuels auprès de mineurs (230 clients identifiés par la police ou la gendarmerie en 2023), loin de ce qui est en réalité de l’exploitation sexuelle d’enfants. La Miprof rappelle d’ailleurs régulièrement que, depuis la loi de 2021, toute relation sexuelle d’une personne majeure avec un mineur de moins de 15 ans devrait être qualifié de viol.

La stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l’exploitation sexuelle impulsée par Isabelle Rome et présentée par Aurore Bergé en 2024 va permettre de renforcer nos efforts à la fois en termes de répression des auteurs et des clients prostitueurs, mais aussi en termes d’accompagnement des victimes et de sensibilisation à l’attention des publics les plus vulnérables, notamment les enfants.
Une chose est sûre, c’est que la lutte contre le système prostitutionnel est une absolue nécessité car il broie des femmes mais il touche aussi, dans des proportions très inquiétantes, de plus en plus de mineurs et mineures, notamment par l’utilisation des nouvelles technologies.

2/ Comment la MIPROF travaille à l’application de cette loi ?

Dans le cadre de la stratégie de lutte contre le système prostitutionnel et l’exploitation sexuelle, la Miprof co-pilote un certain nombre de mesures et s’implique concrètement :

  1. D’abord en publiant des données qui permettent de monitorer le phénomène prostitutionnel. C’est essentiel de publier des données robustes qui objectivent le phénomène et ouvrent les yeux des pouvoirs publics mais aussi de la société sur l’ampleur du fléau, ses multiples visages et ses évolutions : utilisation des réseaux sociaux pour recruter les victimes, des plateformes d’hébergement de courte durée pour organiser la venue des clients et la mobilité des victimes, mise sous emprise chimique, etc. En effet, la prostitution a changé – elle est désormais logée à 80% – et les annonces, comme les démarches des clients, se passent désormais quasi exclusivement en ligne. Ces mutations nous imposent de mettre en œuvre des moyens adaptés d’enquête et de repérage des victimes.
  2. Une prévention claire et décomplexée doit être portée avec ambition dans le programme scolaire d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité ; c’est ce que la Miprof a soutenu auprès du ministère de l’Education nationale : les risques prostitutionnels doivent être abordées parmi les conduites à risque auxquelles sont confrontées les jeunes.
  3. Autre action de la Miprof, former les membres des commissions départementales PSP qui, sous l’autorité des préfets, jouent un rôle central pour l’insertion, la réinsertion sociale et professionnelle des victimes. Les déléguées et délégués des droits des femmes font régulièrement appel à notre mission, ce dont nous nous réjouissons, pour intervenir en ce sens auprès des commissions afin de rappeler le cadre légal en vigueur, les éclairer sur l’évolution des pratiques des clients prostitueurs et les parcours des victimes, autant de données qui sont remontées à la Miprof par les offices centraux, les magistrats, les associations ou les avocates et avocats. D’ailleurs, la Miprof s’est récemment engagée aux côtés de la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS) qui déploie une enquête auprès des associations agréées PSP afin de mieux cerner le profil des victimes qu’elles accompagnent. Nous en présenterons les résultats dans la lettre thématique d’avril 2025. A l’avenir, j’aimerais que nous puissions aller plus loin et aussi avoir une idée précise de ce que sont devenues ces femmes en sortie de prostitution, quelle a été leur insertion professionnelle, leur évolution sociale, leurs conditions d’accès à un logement.

    3/ Quel est selon vous le rôle des associations, notamment les Captifs, par rapport à la mise en œuvre de cette loi?

Les associations qui soutiennent les victimes du système prostitutionnel, les victimes d’exploitation sexuelle ou de traite des êtres humains ont un rôle crucial. Non seulement, elles sont nos vigies pour repérer des victimes mais elles sont aussi essentielles pour les aider à s’extirper des griffes des exploiteurs et les accompagner vers un dépôt de plainte. Parmi elles, certaines obtiennent de l’Etat un agrément spécifique afin d’accompagner les victimes dans leur parcours de sortie de prostitution. Les Captifs en font partie. Votre rôle est de recueillir le récit des victimes, leur apporter le soutien psycho-social nécessaire puis les aider à cheminer vers l’autonomie. Les associations ont la tâche difficile d’aider les victimes à réunir toutes les pièces administratives nécessaires à la constitution des dossiers et à démontrer la distance prise avec les proxénètes et les clients, en vue de l’examen en commission pour l’entrée en PSP. Un travail rigoureux est indispensable sur ce volet pour donner à la dame accompagnée toutes ses chances d’entrer dans ce parcours, d’utiliser le temps du PSP pour entamer leur insertion sociale et professionnelle et se projeter vers une reconstruction pérenne. A cette fin, le réseau des déléguées des droits des femmes est un relais précieux.