
Il est 10h. La gare du Nord est déjà noyée dans son flot de voyageurs quotidien, provenant de l’Europe entière. On est presque emporté par ce flux puissant, qui veut nous emmener autre part, comme si notre présence dans ce lieu ne devait être qu’éphémère. Mais en s’arrêtant un instant, en faisant abstraction de la masse mouvante des voyageurs, on finit par apercevoir ceux que le monde ne voit pas (ou ne veut pas voir…).
Assis ici ou là, ou déambulant nonchalamment au milieu de la foule, quasi invisibles, quelques âmes solitaires peuplent ce lieu sans que personne ne les remarquent. Personne ou presque. En cette belle matinée de février, l’Équipe Mobile Interdisciplinaire (EMI) Maquéro parcoure discrètement les couloirs de la gare à la recherche de ces âmes perdues. L’EMI, rattachée à l’antenne Saint-Vincent-de-Paul (P10 – ESI Chez Monsieur Vincent) de l’association Aux captifs, la libération, opère dans les gares du Nord, de l’Est et de Saint-Lazare à Paris. Elle est composée d’un éducateur spécialisé, d’une infirmière et d’un psychologue qui vont à la rencontre des personnes en situation de grande exclusion, certaines sans-abri, rencontrant des problématiques complexes multiformes (addictions, troubles psychiques, pathologies mentales…) et très ancrées dans les gares du nord parisien.
« C’est vers 22h que se révèle la face cachée de la gare », assure Arnaud, éducateur spécialisé de l’équipe Maquéro. Une fois la nuit tombée, elle se vide de ces habitants d’un instant et peu à peu apparaissent ceux qu’on ne voyait pas quelques heures plus tôt. Ils n’attendent pas de train, ni de métro, ni de proches qui viendraient les accueillir pour les emmener loin du tumulte habituel de la gare. Mais ils attendent. Ils attendent le moment inéluctable où la gare fermera ses portes et les poussera doucement dehors. Jusqu’à ce qu’au petit matin, elle puisse de nouveau les accueillir. « Ce qui est le plus difficile, c’est qu’ils ne demandent rien et ne souhaitent aucune aide particulière », continue Victoire, infirmière. « Essayer de créer un premier contact, échanger nos prénoms, c’est déjà un pas important. » L’an passé, Maquéro a accompagné 62 personnes. 62 personnes parmi les quelques 1400 contacts établis en tournées-rue (maraudes) ; 62 personnes qui bénéficient d’un suivi qui va de l’accompagnement global à la veille. « Cela peut paraître peu », concède Arnaud, « Mais l’accompagnement de chacune de ces personnes est si spécifique, si complexe, si lourd… Et le temps entre la première rencontre et le début de l’accompagnement, au moment où la personne accepte de se laisser aider, peut être très long. » Ce matin-là, mise à part un joyeux échange avec un homme d’origine cubaine, nous ne croisons en effet que des regards. Rarement un bonjour, encore moins une réponse à nos questions. Mais dans chacun de ces regards, même échangés de loin, il y a ce petit quelque chose qui dit « Je vous connais ». Alors Maquéro passe, discrètement, tels des anges gardiens qui veillent sans bruit. « Et puis, sait-on jamais, peut-être qu’un tel acceptera d’aller à la douche ? », ajoute Victoire, « Peut-être qu’un autre voudra bien se rendre à l’hôpital ? Il faut toujours essayer, toujours persévérer ! »
Persévérer dans la fidélité, dans la rencontre. C’est ce qui fait la force de l’équipe Maquéro, à l’instar de tous les Captifs. Et comme chacune de nos actions, elle bénéficie de la générosité de nos donateurs et de nos partenaires, sans qui ces grands cassés passeraient encore inaperçus. Merci pour leur soutien si précieux.